Cela arrive souvent, et c’est épuisant: une simple discussion qui commence avec les meilleures intentions et se termine, inlassablement, dans un malentendu. Nous voulons aider, apaiser, soutenir. Nous proposons des solutions, des conseils, des coups de main. Et il y a cette phrase de trop, qui froisse et agace. L’autre se ferme et s’éloigne. Nous nous sentons incompris, injustement critiqués et complètement vidés. C’est l’escalade, c’est l’engueulade. Et si, sans le savoir, nous étions pris dans un scénario relationnel à trois rôles bien rodé et qui sabote la qualité du lien malgré nos bonnes intentions ? Ce scénario, appelé le triangle dramatique de Karpman, se rejoue partout depuis la nuit des temps: au travail, à la maison, entre amis et il nous piège plus souvent que nous le croyons. Nous nous retrouvons à jouer des rôles sans même s’en rendre compte : celui qui se plaint, celui qui sauve, celui qui critique (Victime, Sauveur ou Persécuteur). Comprendre ce mécanisme, c’est faire le premier pas pour en sortir et retrouver des relations plus claires, plus respectueuses, plus vraies. Soyons honnêtes : nous tombons tous, à un moment ou à un autre, dans ce jeu de rôles. Ce qui fait la différence, ce n’est pas d’y entrer, mais la vitesse à laquelle nous en sortons.

Des scènes qui se répètent et que nous vivons tous. Il y a cette collègue qui se plaint encore, et quelqu’un qui, par épuisement ou par réflexe, prend le temps de l’écouter, de la conseiller, voire de tout faire à sa place. Il y a cet ami qu’on tente d’aider, encore et encore, mais qui finit par dire que nous en faisons trop ou pas assez. Et puis, il y a ces moments où les rôles s’inversent : la personne qui aidait devient agacée, celle qui semblait faible se fâche, et plus personne ne sait comment la discussion a pu autant déraper. Bienvenue dans le triangle dramatique.

Le triangle dramatique, kesako ? Un jeu auquel nous jouons sans le vouloir et qui fatigue tout le monde

Le triangle dramatique agit comme une pièce de théâtre invisible, où chacun joue un rôle appris depuis longtemps, sans savoir qu’il est possible d’écrire un autre scénario.

Issu de l’Analyse Transactionnelle, le triangle dramatique de Karpman est un modèle qui décrit un jeu relationnel inconscient dans lequel trois rôles tournent en boucle. Une dynamique relationnelle dysfonctionnelle dans laquelle une victime, un sauveur et un bourreau ou persécuteur s’entrecroisent :

  • La Victime : « C’est trop dur », « Je n’y arriverai jamais », « C’est injuste… ». Elle se sent impuissante, incomprise, subit la situation. Formulé autrement: oublie sa force et se croit impuissante.
  • Le Sauveur : « Laisse, je vais le faire pour toi », « Tu ne peux pas rester comme ça… ». Il veut aider à tout prix, même sans qu’on lui demande. Formulé autrement: prend en charge et nie les capacités de l’autre.
  • Le Persécuteur : « C’est de ta faute », « Tu ne fais jamais rien comme il faut… ». Il critique, accuse, impose.Formulé autrement: coupe le lien.

À première vue, chacun semble bien installé dans son rôle. Mais ce qui est à la fois fascinant et déroutant, c’est que ces rôles sont interchangeables. Nous pouvons passer de victime à sauveur, puis à persécuteur en quelques minutes, parfois même dans un seul échange. Créant ainsi des échanges chargés, répétitifs et épuisants. Comprendre ce modèle permet de repérer ces mécanismes et d’en sortir pour créer des relations plus saines, plus libres et plus responsables. Car oui, c’est humain, nous entrons tous dans le triangle dramatique. L’enjeu est de savoir en sortir le plus vite possible, avant qu’il ne nous aspire.

Comment entrons-nous dans ce triangle ? Par automatisme: une simple phrase, une réflexion, un geste, un regard…

Souvent, nous n’avons même pas conscience d’y entrer. Nous y entrons de manière automatique, à partir de nos blessures, de nos croyances ou de nos habitudes relationnelles.

Tout commence par une émotion, un réflexe, une vieille habitude relationnelle. Nous voulons aider quelqu’un en difficulté ? Nous glissons dans le rôle du Sauveur. Nous nous sentons incompris, impuissants, et cherchons du soutien ? Nous adoptons le rôle de Victime. Nous sommes à bout, frustrés, et les reproches fusent ? Nous prenons la posture du Persécuteur.
Nous y entrons avec de bonnes intentions et très vite, le jeu s’installe et les rôles tournent, et la relation s’alourdit et personne ne s’en sort vraiment gagnant.Par exemple :

  • Si nous avons peur d’être rejetés, nous pouvons devenir Sauveurs pour nous sentir utiles.
  • Si nous ne supportons pas l’impuissance, nous pouvons nous ériger en Persécuteurs pour reprendre le contrôle.
  • Si nous ne nous sentons pas écoutés, nous pouvons adopter une posture de Victime pour attirer l’attention.

Et plus nous jouons ces postures et plus nous entretenons des relations dysfonctionnelles, épuisantes, frustrantes. C’est en cela que le triangle de Karpman est problématique: parce que ces rôles enferment. Ils sont rigides, limitants et nourrissent la dépendance. Ils nous empêchent de vivre de vraies rencontres. Chaque rôle s’appuie sur un déséquilibre : La Victime nie sa puissance / Le Sauveur nie les ressources de l’autre / Le Persécuteur nie la relation.

Le plus important n’est pas d’éviter totalement ces rôles, c’est souvent impossible, mais de savoir reconnaître quand nous y glissons, pour pouvoir en sortir rapidement et revenir à une posture plus consciente, plus libre.

🎭 Comment en sortir ? En quittant la scène, en tirant sa révérence, en déposant le costume…

Pour s’extraire du triangle dramatique, il est nécessaire de changer de posture intérieure et relationnelle. C’est-à-dire qu’au lieu de réagir depuis un rôle automatique, nous choisissons de répondre avec conscience. Quelques pistes, voici comment transformer chaque rôle :

  • La Victime devient Responsable : elle reconnaît ce qu’elle vit, sans se positionner comme impuissante. Elle reconnaît ses ressources. Elle identifie ses besoins et fait des demandes claires, sans plainte ni manipulation.
  • Le Sauveur devient Soutenant, Accompagnant ou Aidant : il apprend à écouter sans intervenir à tout prix. Il fait confiance aux capacités de l’autre. Il pose des questions plutôt que d’apporter des solutions toutes faites.
  • Le Persécuteur devient Assertif : il affirme ses limites, ses besoins, ses ressentis, mais sans agresser, ni humilier et ni rabaisser l’autre.

Une des clés, c’est de développer en temps réel cette capacité à se rendre compte que le jeu s’installe afin de pouvoir en sortir et revenir à une véritable et authentique relation. Une autre clés est de reprendre sa part de responsabilité sans prendre celle des autres. En d’autres termes, c’est cultiver une posture d’adulte : lucide, respectueuse de soi et de l’autre. Il ne s’agit pas de renoncer à aider ou à dire non, mais de le faire autrement.

Un appel à grandir, pas à subir ; le triangle dramatique: de la répétition à la révélation

Le triangle dramatique est un piège et surtout une formidable opportunité de croissance, et d’apprivoisement: de nous, être humain parfaitement imparfaits que nous sommes. Révélateur, le triangle nous indique là où nous jouons un rôle plutôt que d’être en lien véritable. Il nous invite à faire un pas de côté, à reprendre notre part de responsabilité pour entrer dans des relations plus authentiques, équilibrées, vivantes.

C’est un long et ardu chemin libérateur, de présence à soi et à l’autre. Se repérer dans un rôle, s’ajuster, apprendre à nouveau et écrire un autre scénario. Rien n’est figé, rien n’est fatal. Nos schémas ne nous définissent pas, seulement et seulement si nous le souhaitons.

Psychiatre américain, Stephen Karpman est né en 1933. Il est principalement connu pour avoir créé le triangle dramatique, un modèle qu’il développe dans les années 1960 et qui explique certaines dynamiques relationnelles dysfonctionnelles. Le souhait de Karpman ? Montrer comment les rôles de victimes, persécuteurs et sauveurs tournent en boucle, créant des échanges éreintants et stériles, et comment il est possible de reprendre une posture d’adulte, c’est-à-dire responsable et consciente pour sortir de ce jeu.

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