Prise de décision et erreur: le bruit et les biais
Vous pensez que vos décisions en matière professionnelle sont fiables, logiques et raisonnées ? Vous avez partiellement tort. Dès qu’il y a jugement ou prise de décision, il y a bruit. Et dès qu’il y a bruit la prise de décision s’apparente à une loterie. Face cachée de l’erreur dans la prise de décision, le bruit se découvre « quand deux décisions sont différentes alors que l’on aurait souhaité, et même pensé, qu’elles soient strictement identiques » (Olivier Sibony). Décision judiciaire, diagnostic médical, prime d’assurance, protection de l’enfance, prévision économique, recrutement, police scientifique (identification des empreintes sur une scène de crime), stratégie d’entreprise, etc. rien n’échappe au bruit ; malheureusement. Mais rien n’est inéluctable ; heureusement.
Comment expliquer qu’un même expert (qu’il soit un juge, un médecin, un assureur, etc.) peut prendre des décisions très différentes à des moments différents de la journée ? Comment expliquer que, disposant des mêmes informations, des mêmes sources, des personnes à l’expertise qualifiée aboutissent à des conclusions divergentes ? Divergentes par rapport à leurs collègues, et divergentes par rapport à leur propre décision, antérieure (nous ne sommes pas constants dans nos jugements).
Prise de décision : un jeu de hasard ?
Une loterie ! C’est comme ça que les économistes et juriste – Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein – co-auteurs du livre « Noise » édité aux éditions Odile Jacob décrivent notamment les jugements rendus par la justice (et pas que!). Étonnant, et surtout effrayant. La variable qui affecte la prise de décision ou le jugement, les trois auteurs l’appellent donc le « bruit » (en anglais « noise« ). Largement ignoré, amplement sous-estimé, le bruit provoque autant de gaspillage et d’injustice que les biais cognitifs.
Les biais cognitifs constituent des façons rapides et intuitives de porter des jugements ou de prendre des décisions qui sont moins laborieuses qu’un raisonnement analytique qui tiendrait compte de toutes les informations pertinentes (source: cliquer ici !)
Nous avons tous entendu parler des biais cognitifs (ou du moins nous avons tous déjà entendu ces deux mots). Mécanisme ou schéma de pensée à l’origine d’une altération prévisible du jugement, les biais cognitifs entraînent, chez l’individu (vous et moi), une prise de décision faussée (que l’on croit logique et raisonnée, et qui ne l’est pas). Longuement étudiés, les biais cognitifs sont prévisibles, directionnels et explicables. Au contraire du bruit qui est aléatoire, imprévisible et inexplicable.
Erreur = bruit² + biais²
Comme l’explique au magazine Philomag le juriste Cass R. Sunstein, co-auteur du livre “Noise”: « Le bruit peut être défini comme une variable indésirable dans les décisions. C’est le facteur de hasard qui affecte les processus de jugement. À cause du bruit, des jugements sur les mêmes faits en viennent à différer – alors que nous souhaiterions qu’ils coïncident. Le bruit se distingue ainsi du biais cognitif (ou de la distorsion cognitive). Là où les distorsions cognitives marquent un écart systématique par rapport à la moyenne, le bruit désigne une fluctuation aléatoire indésirable autour de cette moyenne. Prenons un exemple. Imaginons une balance qui surestime, tout au long de la semaine, votre poids : cette balance est biaisée. Les résultats qu’elle donne sont systématiquement incorrects, mais incorrects de manière constante. Imaginons maintenant une autre balance qui donne un poids tantôt surestimé, tantôt sous-estimé. Nous avons ici affaire à une balance « bruyante » : une balance qui produit des résultats aléatoires, qui produit du « bruit ». »
Plus précisément, l’erreur humaine est la résultante (ou l’addition) du biais et du bruit. Erreur = bruit² + biais² Et si vous souhaitez corriger ou minimiser les erreurs de jugements, alors sachez qu’il est tout aussi important de s’attaquer aux biais et aux bruits.
Tapage décisionnel : faîtes moins de bruit
Comment prendre conscience de la part du bruit comme source d’erreur dans vos prises de décisions ?
La réponse est simple et complexe: il suffit de mesurer le bruit en procédant à un audit. Concrètement un audit s’effectue en présentant un même problème à des professionnels qui devraient, selon toute logique, fournir des jugements identiques ou, du moins, proches.
Une fois l’audit effectué et que la prépondérance du bruit dans l’erreur est conscientisée, une solution de réduction du bruit est d’adopter une bonne hygiène de la décision – c’est-à-dire adopter des processus de décision structurés, qui cadre, qui discipline le preneur de décision afin de le rendre moins sensible au bruit.
Vous n’êtes pas à l’abri de commettre une bonne décision
L’erreur est humaine, la persévérance est diabolique. Même s’il n’y a pas de recette miracle pour contrer le bruit, il existe des gardes fous. Ayez en tête que le bruit existe et qu’il est certainement plus considérable que vous ne le pensez. Ayez en en tête que vous pouvez le réduire en vous disciplinant, en disciplinant vos prises de décisions.
Source: « Noise: Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter, » Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, septembre 2021, Odile Jacob, 452 pages