Ces petits gestes qui nous font exister: les signes de reconnaissance ou l’art de nourrir les relations humaines
Sans nous en rendre compte, happée par “le faire” du quotidien, une sournoise forme d’invisibilité relationnelle peut s’installer aussi bien dans nos vies professionnelles que personnelles. Nous travaillons, nous faisons de notre mieux, nous enchaînons les tâches, les échanges, les journées mais sans retour, sans regard, sans signe clair que nous avons été vu, entendu, reconnu. Et petit à petit, quelque chose s’éteint et nous finissons par nous demander si nous comptons vraiment. Nous ne nous sentons plus motivés, ni vivants. À l’inverse, un « bravo », un compliment sincère, un simple « merci » un sourire échangé ou un « je suis content de te voir » peuvent suffire à ranimer le lien, raviver la flamme de vie, redonner de l’élan, remettre du cœur dans l’action. Ce ne sont pas des détails, ni des codifiés formules de politesses: en analyse transactionnelle ce sont des signes de reconnaissance, qui sont essentiels à notre équilibre intérieur. Qui nourrissent notre besoin fondamental d’exister pour l’autre. Qu’est-ce que les signes de reconnaissance ? Comment les accueillir et les offrir ? Et qu’est-ce qu’un chaudoudou ?
Vous croyez que dire « merci » ne change rien ? Détrompez-vous. Ces marques invisibles qui nourrissent (ou abîment) nos liens
Imaginez un monde où chaque regard, chaque mot, chaque geste a du poids. Ces petites marques d’attention qui changent tout dans notre quotidien sont appelées en Analyse Transactionnelle des signes de reconnaissance. Donner ou recevoir un signe de reconnaissance, ce n’est pas simplement exprimer et partager un compliment : c’est offrir une validation (ou reconnaissance) existentielle, un acte essentiel pour nourrir le sentiment d’exister.
« Un signe de reconnaissance (stroke) est une unité de reconnaissance que l’un donne à l’autre. » Plus précisément, Berne décrit cela comme « toute manifestation que quelqu’un a remarqué la présence d’un autre. »
Qu’est-ce qu’un signe de reconnaissance ?
En analyse transactionnelle, discipline développée par Eric Berne dans les années 1950, un signe de reconnaissance (ou STROKE) est toute forme d’attention portée à une personne ou, expliquée autrement, toute manifestation de reconnaissance de l’existence de l’autre. Ces signes peuvent prendre diverses formes :
- Verbaux : compliments, remerciements, critiques
- Non-verbaux : sourires, regards, gestes, expressions faciales
- Positifs : valorisants et constructifs
- Négatifs : dévalorisants ou critiques
- Conditionnels : liés à ce que nous faisons
- Inconditionnels : liés à ce que nous sommes
Et voici quelques exemples concrets : Un sourire croisé dans un couloir / Un « merci » pour une tâche accomplie / Une critique constructive sur un travail effectué / Un « je suis heureux de te voir aujourd’hui » / Un haussement d’épaules ou un silence froid sont aussi des signes de reconnaissance, mais négatifs.
Ces signes ont le pouvoir de nourrir ou de blesser, mais dans tous les cas, ils répondent à notre besoin fondamental d’être vus, entendus et reconnus. Chacun de nous a besoin de ces marques de reconnaissance autant que d’air ou de nourriture. Ils constituent le carburant invisible qui fait vivre nos relations.
A quoi servent les signes de reconnaissance ?
Être reconnu, c’est exister à travers le regard de l’autre. En Analyse Transactionnelle, on parle de « faim de signes de reconnaissance », aussi essentielle que la faim de nourriture. Un enfant privé de contact, sans affection, de regard ou d’attention dépérit (ce phénomène s’appelle l’hospitalisme observé au début du XXᵉ siècle, notamment par le psychanalyste René Spitz) et il en va de même pour un adulte. L’indifférence est la pire des sanctions
Concrètement, les signes de reconnaissance :
- Nourrissent et renforcent notre estime de soi: Les signes positifs construisent notre sentiment de valeur personnelle.
- Structurent nos relations (création de lien et de sécurité) : Ils définissent la qualité et la nature de nos interactions.
- Influencent nos comportements – Nous avons tendance à répéter les comportements qui nous apportent de la reconnaissance.
- Préviennent l’isolement émotionnel : Même des signes négatifs sont préférables à l’absence totale de reconnaissance, d’où l’expression « mieux vaut être mal aimé qu’ignoré ».
- Peuvent éviter les jeux psychologiques
- Permettent à chacun de s’ajuster : un feedback positif encourage à persévérer, un feedback négatif conditionnel aide à s’améliorer
Sans signes de reconnaissance, c’est le vide relationnel : nous nous replions, nous perdons notre élan, nous devenons plus agressifs. Par manque d’attention,désespérément, pouvons même aller jusqu’à provoquer des réactions négatives, juste pour sentir que nous existons aux yeux des autres.
Comment utiliser les signes de reconnaissance au quotidien ?
Variez les types de signes
- Offrez des signes positifs conditionnels pour valoriser les actions (« Merci pour ton implication »)
- Formulez des critiques constructives (négatif conditionnel) pour aider l’autre à progresser, en restant factuel et bienveillant (« Ce rapport manque de clarté, peux-tu préciser ce point ? »)
- Exprimez aussi des signes inconditionnels, surtout positifs, pour renforcer la confiance (« Je suis heureux de travailler avec toi »).
Ayez à l’esprit quelque lignes directrices
- Soyez sincère : un compliment forcé ou une critique déguisée perdent tout leur effet.
- Soyez précis et personnalisé : ciblez un comportement ou une qualité spécifique, pas de généralités vagues.
- Dosez et adaptez : chacun a sa « dose » idéale de reconnaissance ; trop ou trop peu, l’effet s’émousse.
- Donnez, demandez, acceptez : osez demander un feedback, sachez accueillir les signes reçus, et donnez-en autour de vous.
Prêtez attention à l’économie des signes de reconnaissance: le stock ne s’épuise pas, plus nous en donnons plus nous en avons
Pionnier de l’Analyse Transactionnelle, Claude Steiner a mis en lumière que beaucoup vivent comme si la reconnaissance était une ressource rare : ils n’osent ni la demander, ni l’offrir, ni même se l’accorder à eux-mêmes. Pour sortir de ce cercle limitant, adoptez une posture d’ouverture et de générosité. Donner de la chaleur, des signes de reconnaissance ne nous appauvrit pas, au contraire.
Un métaphore et une histoire, pour enfant et adulte: » Le conte chaud et doux des chaudoudoux » de Claude Steiner
Il était une fois un monde dans lequel tout le monde vit heureux dans un village où chacun possède un sac inépuisable de chaudoudoux à offrir. Chaque fois qu’on recoit un chaudoudou, on se sent plein de chaleur, de sécurité et de joie. Et comme ils sont en quantité illimitée, tout le monde en donne à tout le monde. Mais un jour, une sorcière jalouse nommée Belzépha sème la peur de la pénurie : elle fait croire aux habitants que les chaudoudoux pourraient venir à manquer, pour soi. Les gens deviennent alors méfiants, avares et cessent de les partager librement. Ils les gardent, les économisent, et les remplacent par des Froidepique : des remarques blessantes, des gestes durs, de l’indifférence. Le monde devint alors froid, tendu et triste.
Certains individus résistent et continuent à offrir des chaudoudoux, montrant que nous pouvons donner sans s’appauvrir, et même se nourrir soi-même en en donnant aux autres.
Pour enfant et adulte, ce conte vulgarise le concept des « signes de reconnaissance ».
- Les Chaudoudoux représentent les signes de reconnaissance positifs : ces gestes, paroles ou attentions qui nourrissent l’estime de soi et renforcent les liens humains.
- Les Froidepiques symbolisent les signes de reconnaissance négatifs, utilisés parfois par peur de manquer ou par mécanismes défensifs.
- La faim de strokes. L’histoire illustre le besoin vital de signes de reconnaissance : même les Froidepiques deviennent « mieux que rien » quand les Chaudoudoux se font rares.
- La dynamique du don relationnel : en offrant des signes de reconnaissance sincères, nous enrichissons non seulement l’autre, mais également nous-mêmes.